L’espace est assez libre. Entre documentaire et reportage. Entre digression et information. Assez en tout cas pour rêvasser derrière l’objectif, échapper au cadre et filmer des enfants. La caméra est lourde, trop lourde, on la pose. On joue avec ces gosses, pas un ne parle français. Mais ce n’est pas assez pour l’exotisme. Pour l’aéroport, la douane, on vient pour raisons touristiques. Touristique… c’est ériger des choses banales en souvenirs. Ne le fait-on pas au coin de la rue. Le Sénégal, c’est exotique ? Motorola, la Range, Internet tandis que les minarets larsennent en permanence. Si ça vient de loin, ça vient d’un roman : chiens jaunes, galeux, agressifs qu’on chasse d’une pierre, haut-parleurs vibrant le grand rassemblement maurite. Nike protège du malheur, trois millions d’autocollants Madonna saluent les automobilistes et se serrent dans les bus bondés. Autant de Madonna 1986 que de Cheikh Amadou Bamba – tampon des excès missionnaires (le Sénégal, pays colonisé plus de trois fois…) Le soir, il vous accompagne, ses yeux sur toutes les portes, Bamba, le grand Imam voilé. La peinture s’écaille. Son front plein du sable des rues sinueuses.

Saint-Louis (l’Afrique), ça a longtemps été pour moi une grande ligne droite de goudron. Les passagers du 4x4 s’endorment dans le paysage toujours le même : arbres, arbres et savane à perte de vue. Resté éveillé, j’ai pu l’apprécier, la ligne droite Dakar / Saint-Louis. Personne ne résiste à la tentation : poser la caméra sur la porte du taxi et attendre…Ca se laisse filmer, pendant des kilomètres…l’entrée de la ville et ça fait un film. Et puis on est entré dans la greffe bidonville, ceinture de la ville coloniale. Se perdre dans la nuit du centre balisé, c’est déjà quelque chose…Alors on s’est enfoncé très doucement dans Sor, la ville des migrants, ceux qui ne sont pas « les vrais Saint-Louisiens ». Ils ont apporté leurs maisons briques par briques. Ils semblaient avoir oublié la grand-route ; nous, on ne la quittait pas des yeux. Alors, on a eu besoin d’un guide à touristes…Celui qui se déplace sans réfléchir. Pour le touriste rien ne va de soi ; il voit devant lui ce que vous avez dans l’œil tous les jours. Mais un pays comme le Sénégal ne peut être exotique. Les gens vont à votre rencontre, on s’invitait chez eux – la grande spécialité du documentariste. Exotique c’est Londres, où vous n’êtes jamais vraiment ; ici, on vous voit, on vous parle, vous explique. Ca met du temps puis on commence à voir les gens. Dans le film, je ne sais pas si on voit les gens. Monté remonté…j’ai perdu mon regard de touriste, ces images me sont familières. On verra bien à la projection si je n’ai filmé que des monuments.

En faisant le chemin inverse – retour Dakar par la grande ligne de goudron, j’ai commencé à voir des yeux qui m’accompagnaient, quelques paysans se dresser sur les talus.

Florent

PS : à l’heure qu’il est le Paris/Dakar est en Mauritanie…bientôt le Sénégal, mais il y a peu de chance qu’il voit autre chose qu’une ligne droite.

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